Etre ou ne pas être

Le désir, de quelque nature fusse-t-il, me rapproche d'autrui mais m'éloigne de moi-même. Chaque pas que je fais pour aller vers l'altérité en général, m'éloigne de ce qui me définit. Parce que pour accepter la différence, je dois nécessairement faire taire en moi ce qui pourrait constituer une barrière et m'empêcher de nouer des liens, de découvrir et me rapprocher. 
Aussitôt que je me rapproche de ce qui est différent, je m'éloigne subrepticement de mes valeurs, de ce qui constitue cette chimère que l'on appelle "personnalité". Si bien qu'en réalité, l'altérité représente le seul chemin possible vers une autre version de moi-même, au prix de l'oubli de ce que j'ai été. Chaque habitude et chaque mécanisme qui régissaient jadis, mon être, une fois estompés, me font renaître comme quelqu'un de nouveau. De sorte qu'en m'éloignant de ce j'ai pu être par le passé, je me rapproche d'une version encore inconnue de moi-même. C'est là même le principe de la religion : se rapprocher d'une autre version de soi-même au sacrifice de ce qui fut, jadis, sa propre identité. 
Maurice Merleau-Ponty
Le secret de cette dialectique, si on la prend au sens brut, c'est d'échanger sa vie avec ce qui est étranger à soi. Ou encore, laisser ce qui est autre, prendre possession de soi. Pour que le professeur puisse me transmettre le savoir, je dois m'abandonner à son enseignement, lui prêter mon attention et ainsi, pendant toute la durée du cours : cesser d'être. Maurice Merleau-Ponty, dans Sens et Non Sens, écrivait justement : "chaque chose n'affirme son être qu'en me dépossédant du mien". Aussi, pour faire un peu de place à l'existence de l'autre, je dois faire un tant soit peu, abstraction de la mienne.

Commentaires

Anonyme a dit…
J’ai énormément apprécié le texte qui souligne selon moi le conflit entre le désir de se rapprocher de l'altérité et la nécessité de préserver son identité individuelle. La solution à ce conflit réside dans la compréhension de la nature de l'individu et dans la pratique de la connaissance de soi. Pour Spinoza, la connaissance de soi est la clé de la liberté, car elle permet à l'individu de comprendre ses propres désirs et de les diriger de manière consciente vers des actions qui renforcent sa propre puissance et son bien-être. De cette manière, la connaissance de soi permet de concilier le désir de se rapprocher de l'altérité avec la nécessité de préserver son identité individuelle.

J’ai souhaité rebondir sur la citation « Chaque chose n'affirme son être qu'en me dépossédant du mien ». Chaque chose est une expression de la substance infinie et éternelle, Dieu ou la Nature, pour Spinoza par exemple. J’interprète alors la citation comme suit : chaque chose affirme son être en m'enlevant ma propre existence individuelle. En d'autres termes, la réalité de chaque chose dépend de sa capacité à me faire oublier ma propre existence en tant qu'individu distinct. Cette idée s'inscrit dans la perspective spinoziste selon laquelle notre propre existence est subordonnée à l'existence de la substance unique, qui est la source de toute chose.

En outre, la raison étant la capacité humaine la plus importante pour comprendre cette réalité fondamentale, la citation peut également être interprétée comme une invitation à transcender notre ego individuel pour atteindre une compréhension plus profonde et plus universelle de la réalité.

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